…EDALIE…
« Laisse-tomber bébé, nous allons payer ; dit Esdras. »
– Non chéri, non et non ; fais-je en secouant la tête.
« Mais pourquoi ? »
– Je n’aime déjà pas le principe. Non, non et non. T’en rends-tu compte ? C’est mon géniteur qui décide maintenant de mon avenir.
« Nous n’y pouvons rien, c’est la tradition. »
– Où était-il durant ces vingt-huit dernières années ? Où ? Ma mère s’est battue toute seule pour m’élever, et sa famille l’aidait de temps à autres. Ma mère s’est usée à faire les petits boulots, se tuant à la tâche, usant son corps ; aujourd’hui, elle a mal au dos et sa vue a fortement baissé, elle sera obligée de se faire opérer.
« … »
– Pendant ce temps, Monsieur Abanda roulait dans les Mercédès dernier cri avec sa famille. Je n’ai fréquenté que des écoles publiques… J’ai dû m’endurcir pour arriver où je suis.
A ce moment, je ne peux empêcher mes sanglots.
« Je n’aime pas t’entendre pleurer. »
– Désolée, je ne souhaite avoir aucun contact avec mon géniteur. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi il ne se retire pas, sachant que je ne veux pas de lui… Je n’ai aucune envie de le voir.
« … »
– Une dote de 4 800 000fcfa, une enveloppe de 6 000 0000fcfa et il exige 60% de la dot et l’enveloppe ?
« … »
– Mais de qui se fout-on ? Il vient demander tout cela en tant que qui ? Je suis capable de lui rembourser les sous qu’il a dépensés pour la dot de ma mère, mais il refuse.
« Je te conseille de te calmer et laisser les anciens discuter avec lui. »
– Ok.
Un quart d’heure plus tard, je raccroche et décide sur un coup de tête, d’aller voir mon géniteur. Je prends un taxi en course et me rends à Bastos. Je retrouve facilement la maison et sonne, le gardien qui est à l’entrée me demande la pièce d’identité. Quand je la lui donne, il va
passer un coup de fil et revient me prier d’entrer.
Il est 20 heures ; c’est normal qu’il soit là ; je longe l’allée et n’arrive même pas à savourer la beauté des roseraies. Au bout de trois minutes, j’arrive au bout de l’allée et sur le perron où mon géniteur semble m’attendre. Il s’avance vers moi, le sourire aux lèvres, je n’arrive pas à faire semblant.
– Bonjour ma fille ; dit-il en ouvrant ses bras, comme pour m’embrasser.
– Bonsoir ! dis-je d’une voix coupante et sèche.
Il s’arrête, me fixe et me fait signe de la main ; il me précède dans un coin de la terrasse où une femme est assise.
– Je te présente Claudia, ma femme, ta mère.
Ma colère grandit dans le silence que je m’impose. Après lui avoir rendu sa politesse, je la regarde à peine et prends place.
– Je suis heureux de te voir, cela fait un bail ; lance-t-il en s’asseyant.
– Vingt-huit ans !
– Oui, c’est vrai. L’eau a coulé sous les ponts… Je voudrais te présenter tes frères et sœurs.
– Je suis passée afin que nous puissions discuter, je suis là parce que je ne peux faire autrement ; dis-je coupante.
– Ok… fait-il, étonné.
– Je vais vous laisser Martin, dit la dame près de lui.
– Elle peut rester, je n’y vois aucun inconvénient.
Comme elle n’attendait que cela, elle reprend sa place, gauchement reconnaissante.
– Je suis là parce qu’il y a un obstacle à mon mariage : TOI. Cela fait vingt ans que tu as disparu de la circulation, j’ai 25 ans aujourd’hui. Tu étais parti, je suppose que c’est parce que tu souhaitais fonder une autre famille.
– …
– Moi, que t’ai-je fait ?
– En fait, entre ta mère et moi, plus rien n’allait.
– Raison pour laquelle tu m’as abandonnée… Je n’avais rien à y voir, mais j’en ai payé le prix fort.
– …
– N’avais-je donc aucune valeur à tes yeux ?
– …
– Maman a trimé, elle a souffert pour m’éduquer, pour m’envoyer à l’école. Je fais l’impasse sur le manque de nourriture, les vêtements, les chaussures pour aller à l’école et surtout la vie sur la corde raide. Nous ne savions jamais si nous allions avoir à manger, si maman allait avoir assez d’argent pour payer mon école ou les frais d’examen.
– …
– L’as-tu déjà vécu ? As-tu déjà eu une chaussure et sentir un trou au niveau de la cheville ? Es-tu déjà allé à l’école avec des chaussures qui baillent aux corneilles ? Non, je suppose que non. Tes enfants l’ont-ils déjà vécu ? Non !
– …
– Tes enfants ont-ils déjà fait deux jours sans manger ? Non ! Eh bien, il m’arrivait de le faire lorsque maman était malade durant trois à quatre semaines et ne pouvait pas travailler.
– …
– Tu savais où nous vivions, tu savais où nous trouver et comment faire, mais tu n’as pas levé le petit doigt. Ma famille maternelle est la seule famille que j’ai, c’est elle qui s’est sacrifiée ; ils ont fait ce que mon géniteur n’a pu faire pour moi, l’ultime geste d’amour.
– …
– Ils ont vendu le terrain légué par papi, pour m’envoyer aux Etats-Unis… Ils ont toujours été là pour moi ; ils se sont sacrifiés, j’y ai aussi mis du mien et je suis aujourd’hui infirmière. C’est justement dans un hôpital que j’ai fait la connaissance d’Esdras.
– …
– Je me suis construite grâce à ma famille maternelle et non à la famille Abanda, et de ce fait, j’aimerais savoir pourquoi tu souhaites ardemment t’impliquer dans tout ce qui a trait à mon mariage.
– Je te comprends et je suis navré pour tout ce que tu as pu vivre, je n’en savais rien. Je suis ton père, Edalie, je t’ai reconnue et j’ai doté ta mère. De ce fait, il est normal que je m’implique dans ce mariage.
– Le fait de me reconnaitre et d’avoir doté maman t’exempte donc de toute responsabilité ?
– Non.
– En voulant m’accompagner à la mairie, tu estimes donc avoir été un bon père et surtout, mériter ce privilège.
– Oui.
– Tu estimes être en droit de demander une dot de 4 800 000fcfa et une enveloppe de
6 000 000fcfa, en plus d’exiger 60% de tout ceci.
– C’est mon droit et c’est logique.
– J’ai du mal à t’appeler papa, parce que tu ne l’es tout simplement pas. Je ne souhaite ni te voir à la mairie, ni te voir à l’église… En plus de ne pas vouloir que tu t’impliques aux préparatifs de mon mariage.
– Tu ne le peux pas, ta belle-famille est une famille assez convenable et assez respectueuse des principes.
– Je sais.
– Prends cela comme une faveur ma fille, tu me remercieras plus tard.
– Vous n’aurez rien de moi, je dis bien RIEN ! Vous avez une fille de noble condition, pourquoi ne pas rester avec ceux qui sont issus de votre milieu, puisque son milieu est vraiment le vôtre ?
– Tu es encore trop jeune pour comprendre.
– Pourquoi se risquer à fricoter avec les prolétaires ?
– Tu deviens impertinente.
– Ne te considèrent-ils pas à ta juste valeur ? Ah oui, tu n’es pas noble de naissance et ils se moquent de toi.
– Je te prie de partir et saches que je serais là, je te suivrai comme une ombre.
– Nous verrons, je ne suis pas une marchandise.
Je me lève et m’en vais sans un regard en arrière, je sais que la partie sera rude, je vais devoir m’armer de patience et être fine. Je rentre nuitamment et ne parle à personne de cette entrevue, ma vie continue.
Deux semaines plus tard, la mort dans l’âme, Esdras et moi, annulons notre mariage et rentrons aux États-Unis, concubins.
Nous aurions pu nous marier sans passer par la coutume, mais sa mère ne voulait rien savoir, son père a juste suivi. J’avais déjà réussi à convaincre les miens que s’ils acceptaient, je donnerais un banquet pour tous et le lendemain, nous allions nous unir à la mairie.

SIX ANNEES PLUS TARD…..
– Tu ne veux pas manger ?
– Non, maman.
– Je sais que tu aimes bien prendre les fruits, le matin.
– Pas aujourd’hui, maman.
– J’ai aussi pris de la crème fouettée.
– Dans ce cas… dis-je vivement intéressée.
– Je savais, tu ne résistes généralement pas à la crème fouettée.
– Tu me connais assez bien.
Elle fait signe à Ella, ma cousine, qui m’apporte un plateau. Je me régale et ne m’arrête que lorsque je suis vraiment rassasiée, après un verre de jus d’orange frais. Marlyse la coiffeuse toque quelques minutes plus tard, je vais m’asseoir sur la coiffeuse et attends patiemment qu’elle démontre tout son génie.
Trois quarts d’heure plus tard, je me tourne vers le miroir. Je subjuguée parce ce que je vois, je ne me reconnais pas, mais alors pas du tout.
– Aimes-tu ? demande Marlyse.
– C’est magnifique, surtout les perles dans les cheveux ; dis-je subjuguée.
– Le tissage brésilien donne un effet naturel.
– Maman, voilà justement pourquoi je le voulais.
– Vu que tu as défrisé une semaine à l’avance, mon travail a été plus facile… Tu as aussi pris le temps de faire traiter tes cheveux, c’est bien.
– Merci.
– Merci Marlyse, j’espère te voir à la réception.
– Bien sûr, maman.
– Bien ; dit maman en souriant.
Elle s’en va et dix minutes plus tard, Anita la maquilleuse fait son entrée ; au bout de vingt minutes, je suis prête. Maman me prend la main et s’assied près de moi, les larmes aux yeux.
– Je ne suis pas la meilleure des mamans, et encore moins un exemple à suivre en tant que femme, je n’ai jamais été mariée légalement. Je suis aujourd’hui malade, mais heureuse de voir ce que tu es devenue, ta réussite est la mienne. Esdras est un homme bien, sois soumise à ton mari, respecte-le et aime-le. Il est vrai qu’en épousant un homme, la femme épouse aussi sa famille ; mais ne l’oublie jamais, tu vas d’abord épouser Esdras et sa famille, après. Ta belle-famille n’est pas obligée de t’aimer et vice-versa ; par contre, vous vous devez respect. Manage ton mari, et garde-le à tes cotés. Quoi qu’il arrive, ne le pousse jamais à se séparer des siens, car le retour serait encore plus dangereux. Tu te retrouverais éjectée en moins de temps qu’il n’en faut. Ne parle jamais plus que tu ne le dois, pas un mot plus haut que l’autre, concernant ta belle-famille.
– C’est compris, maman.
– Ta belle-mère te dédaigne… Souris quand tu le souhaites, mais saches rester à ta place. Tu es la femme et elle, la mère. L’on peut se séparer de la femme, mais jamais de la mère… Si tu l’as compris, tu as tout gagné. Je ne te demande pas de t’écraser, de tout laisser couler, non ; mais saches faire au mieux. Prends soin de ton mari et… j’attends des petits-enfants.
– Oui maman ; dis-je en l’embrassant.
Pour ceux qui ne comprennent pas, six années ont passé depuis le jour où je suis allée discuter avec mon père. J’ai cru qu’il réfléchirait et se déciderait à me laisser vivre ma vie mais non, il soutenait mordicus qu’il prendrait une part effective à mon mariage. J’ai appris par Esdras, que les liens entre mon père et sa famille se sont raffermis au fil du temps, ce qui me mettait vraiment en porte-à-faux ; tout ce que disait mon père était parole d’évangile.
Deux semaines plus tard, n’en pouvant plus, Esdras et moi, avons décidé de tout annuler et sommes rentrés. Nous sommes revenus deux années plus tard, même résultat. Nous avons réessayé deux années plus tard, ce fut pareil. Nous avons donc décidé cette fois, de nous marier à l’état civil, puis à l’église sans passer par la case coutume. Je suis un fervent défenseur de notre culture ; mais là, je crois fermement qu’il ne faut pas en abuser.
Mon père est officiellement persona non grata dans ce mariage, Esdras a été plus que ferme avec sa famille sur ce point : « Nous nous marierions avec eux ou sans eux. » Maman, qui est arrivée un mois avant moi, a aidé mes oncles à préparer la grande réception que nous avons donnée en ville et dans nos villages. Esdras a acheté tout ce que ma famille maternelle avait demandé et l’a remis sans cérémonie particulière ; nous avions au moins la conscience tranquille, en plus de la bénédiction des anciens. Je trouvais tout simplement absurde qu’une grande fille de 31 ans comme moi, majeure et vaccinée, ne puisse se marier par contrainte de la tradition.
Aujourd’hui, je vais porter le nom d’Esdras, mon homme, je vais officiellement devenir Madame Mve. Que demander de plus au Seigneur ? Nous mettrons notre premier bébé en route dès notre retour. Vous vous posez surement la question de savoir si j’ai de bonnes relations avec ma belle-famille… Je dirais que nos relations sont vraiment restreintes ; je n’aspire vraiment pas à les fréquenter, malgré leur statut social. Difficile pour moi d’oublier que je viens des bas-quartiers lorsque mes belles-sœurs et surtout ma belle-mère me le rappellent si souvent, sans égard aucun pour l’endroit où on est et qui s’y trouve.
A chaque fois que j’ai été invitée avec Esdras à un baptême ou à un mariage, j’ai toujours eu l’impression d’être invisible ou alors, ma belle-mère prenait un malin plaisir à me demander de me présenter ; je devais parler des écoles que j’ai fréquentées et surtout de mon métier. J’y suis déjà rompue. Cela peut encore passer, mais elle n’a pas l’air de se rendre compte qu’en le faisant, elle fait du mal à son fils. Je me suis confiée à maman, elle m’a demandé de rester tranquille, de ne pas faire de vagues. Elle pense que tout se rétablira.
Voilà, je suis au Cameroun pour me marier et la quatrième fois est la bonne. Maman est en train de m’aider à m’habiller, lorsque mon téléphone que tient Irène, une de mes petites-cousines, se met à sonner. Je veux le prendre, mais maman m’en dissuade du regard. Irène décroche et me regarde avec les yeux gros, elle s’approche et me tend finalement le téléphone sans mot dire ; mon cœur se met à battre la chamade, j’ai peur.
– Allo, allo…
« Oui, ma puce » répond Esdras.
– Qu’y a-t-il ?
« Rien de spécial. »
– Comment vas-tu ?
« Bien et toi ? »
– J’ai eu peur qu’il ne te soit arrivé malheur.
« Non, ne t’affole pas. »
– Souhaites-tu encore te marier ?
« Mais bien sûr et toi ? »
– Plus que jamais.
« Tu sais que je t’aime, n’est-ce pas ? »
– Oui.
« Ne l’oublie jamais. »
– Ok.
« Je suis embêté et fais face à un dilemme. »
– Ok… Lequel ?
« Si je ne le fais pas, ils me déshéritent. »
– Humm, faire quoi ?
« Un avocat passera te voir tout à l’heure, tu devras signer un contrat de mariage stipulant que nous nous marierons sous le régime des biens séparés ou alors, nous nous marierons sous le régime de la polygamie. »
– Je croyais que nous avions décidé de nous marier sous le régime des biens communs et de la monogamie.
« Je sais, mais mes parents exigent que tu fasses un choix. »
– …
La fille n’a pas fini de digérer ce que son papa lui fait que la belle maman aussi s’y met?
Au final, le papa ne veut nager que dans cette eau là. S’il avait appris que c’était avec un pauvrard que sa fille voulait se marier, il n’allait pas se manifester hein! Mais apparemment, la famille de Esdras est de la haute société. Donc, monsieur veut encore profiter comme il avait profiter avant en.laissant derrière lui femme et enfant.
Belle maman, pauvre ou pas, on est avant tout humain. Le pauvre d’aujourd’hui peut devenir le riche de demain et vice-versa.
Bonsoir madame DELE,
merci pour votre commentaire.
Cordialement,