NOTE DE LECTURE du Professeur Achille Magloire NGAH

Avant tout propos au fond, permettez-moi d’exprimer ma gratitude à Madame Samba Saphir pour l’honneur qui m’est fait en cette circonstance exceptionnelle et solennelle de m’associer au panel d’une double dédicace qui aurait pu, j’en suis sûr, fait la part belle à des érudits dans l’art de la critique littéraires et autres sommités traditionnelles et spirituelles confirmées pour parler de ces deux œuvres qui, à sens, sortent de l’ordinaire par leur profondeur mystico-spirituelle et leur qualité rédactionnelle. Le choix porté par moi est sans nulle doute une marque de confiance que j’espère pouvoir mériter au terme de mon propos.

S’agissant de ce propos qualifié note de lecture de cette double dédicace, je l’articulerai autour de trois points : dans une première partie nous ferons une analyse de la première de couverture, dans un deuxième mouvement nous nous étalerons sur l’analyse thématique et stylistique et en troisième partie nous mettrons en lumière la dédicace proprement dite, c’est-à-dire les personnes ou les lecteurs à qui ces livres sont dédiés

  1. La première de couverture

D’entrée de jeu, l’œuvre La Gardienne nous captive par sa première de couverture. Nous sommes frappés, voire interpelés par l’aspect vif et vivace de la première de couverture. La vivacité est d’abord celle des flammes. D’une couleur mêlant le rouge vif et le jaune-or, ces flammes sont ardentes et rappellent le buisson ardent dans lequel Dieu se révèle à Moïse comme « Je SUIS Celui qui Suis », c’est-à-dire celui est éternellement présent, celui qui sait tout, celui qui est à la source de tout. Cette omniprésence de Dieu est corroborée ou reconnu par l’auteur par le témoignage de l’héroïne du livre, Cendre qui, parvenue au faîte de la maturité spirituelle par l’entremise de moult turpitudes et persécutions, se rend compte que Dieu a toujours été présent dans sa vie ; Dieu l’a toujours aimée, même quand elle ne croyait pas en Lui et rejetait toute idée de Dieu, Lui il était à ses côtés. Dans le sillage cette omniprésence de Dieu symboliser par le feu nous réfère à l’action de l’Esprit Saint qui est représentée à la pentecôte par les langues de feu. A ce propos, on découvre dans La Gardienne 2 que l’héroïque entretient avec le Saint Esprit une relation fusionnelle. Le feu peut enfin renvoyer à la fournaise ardente dont nous parle le livre de Daniel si l’on considère la grande épreuve mystique dans laquelle l’héroïne est sortie victorieuse. En effet comme Daniel, le feu ne la consume pas, au contraire elle semble même contrôler ce feu, de sorte qu’on peut dire avec Saint Paul que les épreuves que peut représenter ce feu l’on purifie comme on purifie l’or par le feu, de même les amis de Dieu sont purifiés par les épreuves, le feu est donc signe de purification de Cendre la Gardienne afin d’en faire une fantassin, une soldate de Dieu.

Cette soldate est le deuxième élément marquant de cette première de couverture. On aperçoit une guerrière vigoureuse et intrépide jaillissant de la fournaise. Sa parure et sa posture hommasse, ajoutées à son regard vorace rappellent les amazones d’Afrique qui étaient des guerrières d’élite de l’ancien Dahomé. C’ est après avoir lu Le tome 2 de la Gardienne à la page 232 que l’on prend conscience de la profondeur spirituelle de cette soldate image. Pour faire bref l’on a là la représentation de l’attitude du Chrétien en combat spirituel que Cendre incarne dans la Gardienne (le casque du salut, la ceinture de la foi, l’épée de la parole de Dieu….). Chose remarquable tout de même, la soldate a visage de garçon manqué trahissant ainsi les élans féministes de l’auteure. 

II. Analyse thématique et stylistique

    Sur le plan thématique, la Gardienne est un roman. C’est un récit pathétique relatant l’histoire d’une jeune fille, Cendre, mère célibataire, pour reprendre un concept à la mode. Cendre est d’origine africaine, d’un pays imaginaire appelé Katana, mais elle est née et a grandi en France. Ce déracinement va, dès sa prime enfance, provoquer chez elles le mal du pays de ses origines, de sorte qu’elle va opérer une sorte de retour aux sources afin de toucher du doigt sa culture d’origine et ses traditions. Elle se fera donc avocate de sa culture d’origine, se réclamant même traditionnaliste. Ce d’autant plus qu’elle y avait été poussée par une intrusion dans sa vie du jour au lendemain des phénomènes mystiques et cauchemardesques, mêlés des visions éveillées et oniriques où elle fait face à des êtres étranges mi humains, mi animaux, mais aussi des personnes décédées qui la chargent de missions auprès des vivants.  Chemin faisant, sa mère lui révèlera qu’elle est une enfant spéciale, « ce que tu as vécu est réel. Tu as la faculté de passer d’un monde à l’autre. » Dans ces interactions que Cendre entretiendra progressivement avec le monde invisible, elle découvre peu à peu son identité. Elle apprend qu’elle est le fruit d’un « legs héréditaire » de Gardienne, comme le furent son grand père et sa mère. En tant que tel, elle ne s’appartient pas, elle a la charge de la conservation de l’égrégore totémique de sa famille maternelle et par conséquent, elle est malgré elle, une élue. Son refus catégorique de cette mission ancestrale la met en porte à faux avec ses ancêtres et lesdits totems qui veulent à tout prix et à tous les pris la soumettre. Cendre ne se laisse pas faire. Elle fait feu de tout bois pour chercher la solution. Après des errements dans des spiritualités syncrétiques diverses, elle découvre la puissance de la foi en Dieu de Jésus Christ. Et par ricochet elle prend conscience de la grâce qu’elle a reçu de ce Dieu, celle d’être son élue pour sauver sa famille. Avec Cendre, la titre d’un livre spirituel célèbre prend tout son sens : « Dieu écrit droit avec des lignes courbes » (auteur Stan ROUGIER). Tout se passe comme si Dieu avait permis l’élection ancestrale de Cendre, pour en faire un instrument de destruction de ces liens ancestraux et autels maléfiques érigés par des aïeux maléfiques qui impactent l’épanouissement des descendants de la famille, ceci manifeste par des mari de nuits, des vies décousues et instables etc….au fil des oppressions de ses ancêtres et de leurs totems, Cendre a connu une croissance spirituelle qui l’a façonnée en une guerrière spirituelle qui livrera un combat digne du combat apocalyptique entre Saint Michel et la bête, combat qu’elle remporte haut la main avec le soutien de la cour céleste et qui lui fait conclure que « avec le recul, j’ai compris qu’il (Dieu) a laissé faire parce qu’il souhaite se glorifier », « je ne suis qu’un instrument ».

    Sur le plan stylistique, l’œuvre de SAMBA Saphir est un roman dramatique. Il baigne dans une atmosphère sinistre et absurde, mélangeant la cohabitation d’une angoisse existentielle et métaphysique. L’auteur plante le décor inique des traditions qui font de l’homme un moyen et non une fin et met en lumière ainsi l’absurdité de leur mode opératoire qui sacrifie l’homme, fait à l’image de Dieu, à l’autel du pouvoir et de l’avoir. Pour ce faire, elle manipule allègrement les figures de style telles que la métaphore, l’hyperbole, l’allégorie et les proverbes. L’argot camerounais est aussi abondamment mobilisé. Toutes choses qui trahissent les réelles origines de l’auteur, soupçons qui sont confirmés par l’onomatopée des lieux tels que Zoétélé, Odza, ou le terme Ekang qui renvoie au peuple beti qui peuple le Centre-Sud du Cameroun.

    Au point de vue formel, l’abondance du ton lyrique et la narration émotive des évènements dévoile les traits d’une autobiographie susceptible de plonger le lecteur dans un univers réaliste. Le style de l’auteure se déploie par une savoureuse délectation esthétique alliant les style sérieux, soutenu au langage familier, voire même vulgaire de la révoltée qu’elle est. Parlant de cet esprit révolté ou de l’engagement littéraire, notons qu’au-delà du monde métaphysique dans lequel l’œuvre nous plonge, l’auteure garde un œil lucide et engagé contre les maux que mine son temps. C’est ainsi qu’autant elle s’insurge contre le néo colonialisme et le racisme qui sont l’apanage de sa terre d’accueil la France, autant elle fustige la mal gouvernance, la pauvreté ambiante et la corruption qui gangrènent Katana son pays d’origine. De même elle tire à boulet rouge sur la dépravation des mœurs au sein de l’Eglise et la polémique déclenchée par le message du Pape sur la bénédiction des couples homosexuels. On l’a compris, la Gardienne est une œuvre littéraire au sens propre du terme, en tant que tel elle est fortement recommandable. Mais à qui peut on la recommander ?

    III. La dédicace

      Dédicacer c’est consacrer ou rendre hommage d’une part, mais dédicacer qui provient de dédier c’est adresser, donner, mieux prédestiner quelque chose à quelqu’un.

      Au regard de la thématique et de l’analyse stylistique ci-dessus présentées, nous pouvons dire que la Gardienne de SAMBA Saphir est une œuvre recommandable à plus d’un titre.

      D’abord, c’est un hommage rendu à nos traditions. Malgré la supposée trahison de ces traditions par le dévoilement de leur face hideuse, il n’en demeure pas moins vrai que cette œuvre qui est produite à l’ère où le slogan « retour aux sources » a le vent en poupe est une sonde introduite dans ces traditions pour permettre aux traditionnalistes néophyte de faire le tri entre les bonnes et les mauvaises traditions. En effet toutes les traditions ne sont pas bonnes. Toutes ne sont pas mauvaises non plus. L’œuvre de Samba Saphir semble être une lanterne servant au discernement entre les bonnes et les mauvaises traditions. Et à l’intérieur de ces traditions, la Gardienne est un vibrant hommage rendu aux véritables gardiennes et gardiens conscients et non conscients de nos sociétés traditionnelles. Car comme Cendre, la charge de gardien(ne) est encodée dans l’âme des élus malgré eux, et nombreux parmi nous ignorent qu’ils sont dépositaires de cet héritage, et qui comme Cendre découvrent dans les sentiers de la vie les évènements qui dépassent leur entendement et dont ils ne peuvent pas en parler, par peur d’être incompris et pris pour fou. Ainsi les adaptes du retour aux sources très à la mode aujourd’hui pourront, en lisant la Gardienne, éprouver les sources pour savoir si elles sont en phase avec la volonté de Dieu ou pas.

      Ensuite, ce roman est un véritable guide sur les sentiers de la maturité spirituelle. Le processus de délivrance de Cendres des totems fait route avec sa croissance dans la foi. Comme pour dire à tout enfant de Dieu qu’il n’y a point de résurrection sans passion. Toutes choses qui font de cette œuvre une ressource pour les hommes de Dieu africains qui y trouveront des connaissances élaborées des méandres de nos traditions afin de mieux aider les âmes en peine qui sollicitent leur ministère. Cependant il faudra, pour mieux comprendre la Gardienne s’armer de patience pour lire non seulement les deux tomes dans leur entièreté, mais aussi et d’abord lire ce que je qualifierais de tome zéro de cette saga qui parle de l’expérience mystique d’Isis la mère de Cendre. Attention cependant de ne pas succomber à la tentation de l’amalgame, car les trois tomes sont un véritable contraste où rime exaltation et déconstruction tant de la foi en Dieu que des traditions ancestrales. Sauf qu’en restant concentrer dans la lecture, vous découvrirez que l’auteure purifie la mentalité du lecteur, mieux, son cœur, afin d’en faire un bienheureux, comme dit Jésus dans l’Evangile de Matthieu, « heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu ».   

      Je vous remercie de votre aimable attention.             

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