Tout commence le soir de la dédicace de mes deux (2) derniers bébés. Alors que tenant fermement le micro, je débitais des litanies de mots, je sens le regard perçant de tantine Thérèse sur ma personne. Durant quelques secondes, nos regards se croisent, se séparent pour se recroiser quand il faut dédicacer les livres. Elle me regarde avec malice en secouant la tête et glisse avec une infinie douceur : viens, viens me voir au musée. Il faut que tu passes au musée.
Avec désinvolture, j’opine de la tête en me disant : ça n’arrivera pas voire jamais. Moi, mettre les pieds au musée, maison par excellence des peuples de la foret et de mes aïeux, bons ou mauvais. Impossible que je mette les pieds dans la maison de mes bourreaux. Non, jamais !
Deux jours plus tard, je me réveille les étoiles pleins les yeux, me rends en ville et honore mes engagements. A 17h30, le taxi arrivant au niveau de la pharmacie du Mfoundi, je décide sur un coup de tête, d’aller saluer tata Thérèse. Je me dirige vers le musée en invoquant le St-Esprit, lui demandant de me protéger des mes aïeux, de leurs actions néfastes dans ma vie. Au seuil du musée, je ferme les yeux durant quelques secondes, m’exhortant au calme.
Le musée Ethnographique des peuples de la foret est grand, mes pas sont hésitants. L’on m’apprend que le musée ne tardera pas à fermer. Je précise vouloir rencontrer la fondatrice, Mme FOUDA Thérèse. Je suis conduite à elle. De nature accueillante et chaleureuse, elle me met rapidement à l’aise. Après les salutations d’usage, elle demande à Anang de me faire faire le tour du propriétaire, ce qui est fait au pas de course.
Sur la réserve voire défensive, au début, je parviens à me détendre et sourire durant la visite. La défenderesse des traditions et cultures, qui avait pris la poudre d’escampette, après la manifestation de la ménagerie familiale dans ma vie, lorgne avec hésitation. La nature revient toujours au galop. Je me plonge, avec plaisir, dans les méandres de ma culture.
Avec nostalgie, je me rappelle enfin, après des mois, pourquoi je suis si fière d’être Ekang. Je suis heureuse de me retrouver là, au milieu de ce qui devrait me définir. En rentrant dans la salle où sont exposés les cuillères, l’ancêtre des Paris sportifs et essence de la vie et autres objets, je suis en apnée. Je suis subjuguée par la musicalité des objets et leur mémoire.
Pour ceux l’ignorant, tout a une mémoire, aussi bien l’eau, la terre, le fer, les objets inanimés comme animés. Tout respire et vit à sa manière,
permettant la transmission de l’histoire avec ses codes, qu’elle soit bonne ou mauvaise.
Anang s’arrête devant l’ancêtre des paris sportifs et essence de la vie, je suis hypnotisée par ce qui est exposé en vitrine. J’ai du mal à détacher mon regard de ces objets. Mon corps est envahi par la chair de poule. Un froid intense s’insinue en moi. Je ferme les yeux et vois descendre du ciel, une intense lumière. Je suis surprise mais pas apeurée.
Tel un ouragan ou un éclair du ciel, la lumière descend et s’abat sur la vitrine. J’ai le souffle coupé durant quelques secondes mais ne ressens, bizarrement, toujours aucune peur, au contraire. Là, au milieu de tout ce qui cristallisait honte et déshonneur, j’entends un son semblant venir des entrailles de la terre.
Sans peine, je reconnais le son du Nkul, je reconnais le chant émis par l’instrument de musique, par excellence, des miens. J’ai la chair de poule et une révélation, à l’instant. Oui, je connais le sujet de mon prochain livre. J’ouvre les yeux et frotte machinalement les mains sur mes épaules, comme pour me réchauffer.

Anang me demande si ça va, je la rassure. Nous continuons la visite. Au moment de quitter la salle, je m’arrête au seuil, me retourne, rentre sur mes pas, vais encore jeter un coup d’œil à la vitrine et souris en repensant à la révélation. Durant quelques instants, j’oublie être dans l’antre « des diablotins », savoure ce moment en prenant des notes et reviens à la réalité en entendant mes oreilles siffler.
Le retour à la réalité est brutal ! Mes aïeux, les malfaisants font encore des leurs. Ils n’ont toujours pas compris, après bien des déculottées de la part du St-Esprit et l’État-major de l’Éternel des armées, que je ne suis pas seule et ne le serais plus jamais. Finis les périodes d’intenses persécutions, tortures physiques et psychologiques. Mes mécanismes et boucliers de défense sont activés. Tous mes sens sont en alerte. J’ai des frissons mais n’éprouve aucune peur car je sais qu’ils sont là, et me protègent efficacement.
Anang et moi, rejoignons tata qui me demande de prendre place. Je lui fais part de mes impressions, omettant la tentative d’intrusion des totems et associés de ma famille, remerciant au passage l’Éternel et son armée. Malgré tout, je m’ouvre et ne peux faire fi de la joie et l’excitation ressenties en visitant la salle contenant les tenues de danse, les cuillères, les cases de l’homme et la femme Ekang.
Je suis aux anges, j’ai les yeux brillant malgré tout. Elle m’observe avec un sourire moqueur, m’écoute religieusement en secouant la tête. Nous
changeons de sujet. Je ne sais pas pourquoi, je ne peux m’empêcher de voir la malice dans son regard. Nous parlons de la pluie et du beau temps,
durant un quart d’heure puis elle se tourne vers moi, l’air grave.

– Sais-tu pourquoi je tenais à ce que tu viennes au musée ?
– Non, tata.
– J’aurais pu te demander de passer me voir à la maison mais je tenais à ce
que tu viennes au musée. Sais-tu pourquoi ?
– Non, tata.
– Je t’ai observée durant la dédicace, j’ai été touchée. A chaque fois que tu
faisais référence à notre culture, tu avais ce rictus de
dégoût. J’ai ressenti ta peine, ta douleur en contant ton histoire.
– …
– Je t’ai religieusement écoutée durant ton intervention, je ne
doute pas de leur existence mais n’y crois pas parce qu’ils ne me font
pas peur.
– …
– Tu ne peux rejeter et oublier qui tu es, à cause de la bêtise d’une minorité.
Je ne minimise pas ta douleur mais n’oublie pas qui tu es.
– Oui, tata.
– Je t’ai observée, tu sembles différente de tout à l’heure.
– C’est vrai, dis-je en souriant.
– Anang, va chercher le panier, je vais offrir un cadeau à ma fille.
Anang revient avec un panier, le tend à tata qui prend et me le tend à son tour.
– Choisis ! fait-elle simplement en souriant.

Je plonge les mains dans le panier, surtout qu’il renferme ce qui m’a subjuguée. Je ferme les yeux en prenant « chaque » dans mes mains, espérant ressentir. Une minute plus tard, en prenant « l’un », je ferme les yeux et ai, à nouveau, une décharge électrique, confirmant ce à quoi je pensais déjà. Je garde les yeux fermés durant quelques secondes et en les rouvrant, je croise le regard compatissant de ma tante.
– Est-elle enfin de retour ? Demande-t-elle, simplement.
– Qui ? Fais-je, feignant de ne pas comprendre.
– Est-elle enfin de retour ?
– Oui, je suis de retour. Dis-je en souriant.
– La conteuse est enfin de retour. Alléluia. C’est inscrit dans ton ADN. Tu ne peux y échapper. Tu es née pour
raconter, écrire, écrire.
– Oui, tata.
– Qu’une poignée d’êtres malfaisants ne te détourne pas de qui tu es ou de
ton destin.

Nous gardons le silence, savourant ces instants magiques. Nous n’avons pas besoin d’aligner une litanie de mots ou de discours ennuyeux. Nous nous sommes comprises en quelques mots. Elle m’a cernée, avait compris ma douleur, mon mal-être et a réussi, par cette visite, à me réconcilier avec les miens et moi-même.
Non, pas m’amalgame ! J’éprouvais de la répulsion pour ma culture mais cette visite m’a permis de « rentrer à la maison ». Seulement, les faits sont indéniables et ma décision reste inchangée : jamais je ne serais gardienne des totems de ma famille. Jamais je ne serais gardienne des êtres maléfiques et les exterminerais car oui, ils mourront de ma main avec l’aide du St-Esprit et l’armée de Dieu.
Inouï, le fait que le sujet de mon prochain roman ait été trouvé dans le lieu que j’avais qualifié « ’d’antre des diablotins de ma famille ». Je demande au St-Esprit s’il est possible pour moi d’écrire sur ce sujet, sa réponse est simple : ces faits doivent être révélés et sus de tous. Tu peux !
A cet instant, je pense à une de ces réponses concernant la culture et la « religion du blanc » : la tradition et la religion ne sont pas antinomiques parce que, peu les avent, les puristes Ekang, les vrais ont le même comportement que les chrétiens, les vrais chrétiens. Ils ont en commun, plus qu’on ne le pense.
PS : « Être Ekang » est une expression abusive car la vraie formulation serait « avoir une projection spirituelle Ekang », et se résumerait à croire et œuvrer pour une vie spirituelle sans mort.
Merci de te livrer. On te sent sur un chemin initiatique de vie. Tu le fais à la manière d’une chronique, afin que « nul n’en ignore ». C’est ton chemin, mais ton récit doit certainement ouvrir la voie à d’autres ou libérer d’autres.
Certains doivent consacrer leur énergie à « combattre contre le mal » pour que d’autres consacrent la leur à créer le bien.
Bon courage
Bonsoir Sabine. Merci pour ce délicat message. Tu as, semble-t-il, compris ce à quoi j’aspire. Ouvrir la voie pour d’autres et éviter à certains de faire des bêtises, peut s’avérer sacrificiel. Merci pour l’attention portée à mes écrits, grande-sœur. Que Dieu te bénisse.